Semer le changement : « À Kilifi, au Kenya, une pandémie a donné vie à des rêves vieux de vingt ans »

« C’est une pandémie qui a enfin donné vie à des rêves vieux de vingt ans », assure Twahir Hussein, le fondateur de Dunia Moja, alors qu’il fait le point sur son travail auprès des communautés défavorisés de Kilifi, sur la côte Est du Kenya. Depuis des années, Dunia Moja cherche des moyens pour sortir des habitants de Kilifi de la pauvreté à l’aide des appareils numériques et de compétences en informatique. L’association s’adresse plus particulièrement aux jeunes, qu’elle forme en technologies numériques à travers Lamuka Hub, une organisation de protection de l’enfance, qui reçoit l’aide d’une petite subvention d'APC.

Une région au taux de pauvreté élévé

La plupart des formations sont destinées aux chauffeurs de « boda boda », qui conduisent un genre de moto-taxi en Afrique de l’Est, et aux « Mama Mbogas », des femmes qui vendent des légumes. L’organisation travaille également auprès des étudiants universitaires, qui par la suite deviennent souvent formateurs pour d’autres jeunes enfants.

« Nous nous trouvons dans une région au taux de pauvreté élevé, alors nous faisons ce que nous pouvons. Le plus souvent, soit notre organisation prend en charge les frais des étudiants, soit elle lève des fonds auprès des amis. Nous tentons actuellement d’ouvrir une fondation qui permettrait de mieux canaliser les questions financières », révèle Hussein lors d’une conversation avec APC.

À la question de savoir s’ils reçoivent un quelconque soutien public ou institutionnel, il explique : « Au Kenya, nous avons eu une période d’élections extrêmement corrosive, centrée sur les questions qui apporteraient des votes. Malgré tout, nous avons reçu la visite d’un ministre dans notre centre, à l’occasion de la remise de diplômes des enfants ayant suivi un stage de codage pendant les vacances. »

Éducation pour les plus vulnérables

« C’est une pandémie qui a enfin donné vie à des rêves vieux de vingt ans » sourit Hussein alors qu’il se remémore comment à diverses reprises, il a présenté au gouvernement des notes conceptuelles sans qu’aucune action ne soit prise alors même que les ressources pour connecter les écoles rurales étaient disponibles. « En mars 2020, lorsque les établissements éducatifs ont dû fermer pour pouvoir suivre l’évolution de la pandémie dans le pays, nous avons réalisé que les communaus défavorisées seraient les plus durement touchées par le confinement » se rappelle-t-il.

« Dans un village rural comme le nôtre, les écoles sont un moyen d’empêcher les enfants de traîner dans les rues, et là nous étions confrontés à une pandémie d’un autre genre : les jeunes se faisant briser par la consommation de drogue ou les grossesses adolescentes » ajoute-t-il.

En plein confinement, alors que des outils en ligne étaient mis en place pour pallier l’absence de rencontres physiques, Hussein a contacté la professeure principale de l’école primaire de Kilifi, Madame Shume. Il lui a demandé si cela l’intéresserait de former des enseignants et des enseignantes au numérique et à terme, de les connecter, ainsi que leurs élèves, à l’internet. L’idée l’a enchantée et une semaine plus tard, le premier cours de maîtrise des outils numériques a rassemblé une équipe de huit professeur·e·s des écoles. Les choses se sont alors accélérées de la meilleure des manières, puisque les professeurs d’autres écoles ont été invités à participer à l’atelier, et début mai, les enfants ont rejoint la plateforme.

Parallèlement au renforcement des capacités des enseignants et étudiants, Dunia Moja a élaboré un projet destiné à résoudre la question du manque de connectivité qui affecte la population de la région. Le projet Kilifi Digital Villages a ainsi permis de mettre en place des nœuds de réseau communautaire dans les écoles publiques des villages du comté.

« Nous avons installé des hotspots Wi-Fi rudimentaires qui permettaient aux enfants de s’asseoir sous les arbres pour suivre les cours en ligne de leurs professeurs ; les enfants utilisaient des tablettes fournies par le gouvernement aux écoles primaires de Mtondia, indique Hussein. « Inutile de dire que les enfants ont pu poursuivre leurs études correctement, au point de parvenir à terminer le programme à temps. »

À la question concernant les écarts numériques de genre, Hussein explique que dès le départ, les femmes et les jeunes filles ont fait partie des programmes. Luttant pour remettre en cause les stéréotypes locaux qui laissent les filles dans l’ombre, Dunia Moja travaille à leur côté pour leur donner des possibilités d’exceller et d’éviter ce qu’Hussein appelle « une autre pandémie » : les grossesses précoces.

Hussein évoque également les défis de l’environnement dans lequel ils vivent : « Les jeunes garçons sont de plus en plus ignorés par la société, avec des taux d’abandon qui atteignent des sommets. Pendant que les filles excellent dans l’éducation, que nombre d’entre elles vont à l’université et trouvent de bons métiers, les garçons se dirigent vers le commerce « boda boda ». Il est grand temps de remédier à cette anomalie, avant d’en arriver à une pandémie de garçons perdus. »

Travail auprès d’enfants atteints de troubles auditifs

Son ancrage local solide permet à Dunia Moja de connaître les préoccupations et les priorités des différentes communautés. Il lui est également possible de répondre aux besoins réels, qu’il s’agisse de questions sociales comme la grossesse précoce chez les adolescentes, de questions de genre ou de handicaps.

Parmi les professeur·e·s des écoles participant au programme se trouvait le préfet des études de l’école Kibarani pour les malentendants, un enseignant engagé qui souhaitait appliquer de nouvelles méthodes dans une communauté depuis toujours ignorée et marginalisée : les enfants atteints de troubles auditifs.

« Avoir accès à l’internet dans l’école a permis aux professeur·e·s, qui ont désormais les compétences du 21è siècle, d’intégrer l’utilisation des technologies pour enrichir leurs leçons. Les étudiant·e·s font maintenant des voyages virtuels à travers le monde, que ce soit un safari virtuel pour observer la migration des animaux sauvages dans le Masai Mara ou voir des bisons pris de panique aux USA, » explique Hussein. « Ils ont pu voir le Pape s’addressant aux croyants au Vatican et le hajj à la Mecque. Le monde du silence devient visuel avec l’aide de sous-titres que les enseignant·e·s expliquent par la suite » ajoute-t-il.

Non seulement ce travail a aidé les enfants atteints de troables auditifs, mais il a contribué à faire évoluer les perceptions sociales des personnes ayant un handicap. « Ceux et celles qui ont pu visiter l’école et interagir avec les étudiant·e·s ont vu que ces enfants sont tout aussi énergiques que ceux de leur âge » se réjouit-il. « Je dois dire qu’on est actuellement témoins d’un réveil de notre société qui même s’il est lent, reste positif et va vers une valorisation des enfants ayant un handicap. »

L’École nationale de réseaux communautaires au Kenya

Dunia Moja fait partie de la première École nationale de réseaux communautaires au Kenya, un effort collectif pour le renforcement des capacités en matière de création, de développement et de consolidation de réseaux communautaires. L’école comporte actuellement sept réseaux communautaires, regroupant des personnes de différents niveaux d’expertise « si bien que même si on a des professionnels pour nous montrer les différents aspects d’un réseau communautaire, on a aussi énormément d’entraide parmi les étudiants eux-mêmes » pointe Hussein.

L’indépendance et l’autonomie sont des aspects essentiels pour permettre à la communauté de couvrir ses besoins réels, et c’est ce que les réseaux communautaires offrent, souligne-t-il. « Ces réseaux réussissent à établir des liens bien au-delà de ce que font les fournisseurs de service internet, avec par exemple la connectivité hors-ligne pour les écoles et les étudiant·e·s après l’école.

Il est déjà possible de mesurer l’impact de l’École en raison du nombre d’emplois créés par la suite. « Les personnes qui ont participé à cette expérience travaillent actuellement comme installateurs de réseaux, formateurs en TIC pour les écoles, personnel de cybercafé ou formateurs en codage. Il y a également une équipe d’étudiant·e·s universitaires qui travaillent sur une appli pour les moto-taxis « boda boda », dit-il pour finir.

Outre le Kenya, des Écoles nationales sont organisées en Afrique du Sud, au Brésil, en Indonésie et au Nigeria dans le cadre du projet « Soutenir les démarches communautaires visant à réduire la fracture numérique » dirigé par APC et Rhizomatica avec le soutien du programme d'Accès numérique du gouvernement du Royaume-UniChaque école cherche à être un puissant outil d’apprentissage, mais aussi à permettre de multiplier les initiatives proposées par la communauté, à rassembler des personnes de différentes communautés dans le pays et à encourager la collaboration avec d’autres organisations qui agissent en faveur de l’inclusion numérique.

 

Photo et vidéo de Dunia Moja.

Cet article est tiré des informations fournies par Dunia Moja dans le cadre du projet « Connecter les non connectés », adaptées et mises à jour pour la chronique « Semer le changement ». Cette chronique présente les expériences de membres et partenaires d’APC qui ont bénéficié de financement proposé dans le cadre du programme de subventions secondaires d’APC, avec le soutien de Sida, ou de nos autres subventions secondaires proposées dans le cadre d’autres projets d’APC.

Cette histoire vous a inspiré·e à semer les graines du changement dans votre communauté ? Partagez votre histoire avec nous à l’adresse communications@apc.org.

 

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