Un suivi des lois et politiques relatives à la désinformation dans plus de 30 pays d’Afrique subsaharienne

Par APCNews

La pandémie de COVID-19 a donné lieu à la diffusion d’énormes quantités d’informations, qu’elles soient vérifiées ou non. Dans un tel contexte, Global Partners Digital (GPD), ARTICLE 19, la Collaboration sur les Politiques Internationales des TIC pour l’Afrique de l’Est et Australe (CIPESA), PROTEGE QV et le Centre pour les droits humains de l’Université de Pretoria ont récemment lancé un traqueur d’infox, le Disinformation Tracker, une carte interactive permettant de repérer les lois et politiques relatives à la désinformation de l’Afrique subsaharienne. La carte permet de suivre les tendances, de lire des analyses et offre un cadre permettant d’évaluer la situation de la lutte contre la désinformation mise en place par les différents États de la région. Lors de sa mise en ligne, la carte couvrait déjà 31 pays d’Afrique subsaharienne, mais il est prévu de couvrir plus de pays dans les prochains mois.

Puisque deux des organisations qui travaillent sur le Disinformation Tracker – CIPESA et PROTEGE QV – sont membres d’APC et de la Coalition de la Déclaration africaine des droits et libertés de l’internet, APCNouvelles les a contactées mieux connaître sur cette initiative.

APCNouvelles : Pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi le Disinformation Tracker s’inscrit dans les principes de la Déclaration africaine des droits et libertés de l’internet ?

PROTEGE QV : Le Disinformation Tracker s’inscrit parfaitement dans un certain nombre de principes importants de la Déclaration africaine. On mentionnera par exemple le Principe 4 concernant le « Droit à l’information ». Ce principe se fonde sur l’hypothèse que l’information disponible sur l’internet est exacte et fiable. Un traqueur d’infox est donc un outil pour la protection, qui veille à faire baisser la tendance actuelle de diffusion de fausses informations. Il en est de même pour le Principe 7 de la Déclaration africaine, « Droit au développement et accès au savoir ». Le nombre de fausses informations qui circulent sur l’internet remet de plus en plus en cause son rôle déterminant pour l’accès des populations au savoir. Le Disinformation Tracker offre la possibilité de trouver en un clic la réponse mise en place au niveau législatif et réglementaire par chaque État pour traiter ce sujet qui prend une importance croissante.

Mais le Disinformation Tracker et la Déclaration africaine ont d’autres points de convergence, que ce soit avec le Principe 8, « Vie privée et protection des données à caractère personnel », puisque la propagation de fausses informations pourrait empiéter sur la vie privée des personnes ou amoindrir leur confiance envers l’internet, ou encore avec le Principe 9, « Sécurité, stabilité et résilience de l’internet ».

CIPESA : Ce traqueur d’infox identifie les lois et dispositions qui affectent spécifiquement l’espace destiné à la liberté de parole, d’expression et d’information. Et lorsque des limitations sont nécessaires, si elles relèvent des normes régionales et internationales en matière de droits humains, y compris la proportionnalité et la légalité. Il évalue également la responsabilité des intermédiaires, les mécanismes de recours et la surveillance.

Ces questions s’inscrivent dans le besoin d’ouverture de l’internet, dans les questions concernant l’accès et le coût de l’internet, la liberté d’expression, l’accès à l’information, la liberté d’assemblée et d’association, l’accès au savoir, la vie privée et la protection des données à caractère personnel, la sécurité, la stabilité et la résilience de l’internet, la garantie d’une procédure régulière, et la gouvernance démocratique multipartite de l’internet, qui font partie des principes essentiels de la Déclaration africaine des droits et libertés de l’internet.

APCNouvelles : Que pouvez-vous nous dire sur les répercussions de l’infox sur les femmes en particulier ?

PROTEGE QV : Prenons comme exemple un fait qui a eu lieu au Cameroun. Après les élections présidentielles du 7 octobre 2018, la principale figure de l’opposition a été arrêtée vers la fin de janvier 2019, et ce n’est que neuf mois après sa détention que le procès a eu lieu. En octobre 2019, il a profité d’un pardon présidentiel pour sortir de prison et peu après, une lettre attribuée à sa femme a commencé à circuler sur les réseaux – une lettre dans laquelle elle remerciait apparemment le chef d’État pour son pardon. La question ici est de savoir pourquoi les tenants du parti au pouvoir ont attribué cette soi-disant lettre de pardon à sa femme et non au dirigeant de l'opposition lui-même ?

La désinformation au Cameroun touche encore beaucoup les femmes, peu disposées à vérifier les informations qui circulent sur les plateformes de médias sociaux (WhatsApp principalement) et très sensibles aux messages à partager avec autant de personnes que possible.

De plus, le Cameroun est une société très communautaire ; toutes les femmes sont membres de plusieurs associations (dans leur village, celui de leur mari, leur quartier, leurs ami.e.s, les anciens élèves de leur école, etc.), et ces associations sont des canaux privilégiés pour la circulation des fausses informations et de la désinformation.

En général, l’infox touche les femmes dans le sens où elles sont souvent les cibles d’abus en ligne basés sur le genre, qu’il s’agisse de menaces, de harcèlement, d’images falsifiées ou encore de la diffusion d’images sexuellement explicites, lors de la propagation de fausses informations. Il en est de même pour les défenseures des droits des femmes, victimes de fausses informations ayant pour objectif de leur enlever toute légitimité, d’affaiblir leur crédibilité et de les dévaloriser.

CIPESA : La désinformation est une tactique souvent utilisée contre les femmes en position de pouvoir, que ce soit dans la politique, les médias, le monde du spectacle ou même l’activisme. Elle est également monnaie courante envers les femmes qui ne font que partager leur opinion ou avoir une présence en ligne. Le plus souvent, elle a pour objectif de faire taire leur opinion ou d’influencer les opinions à l’encontre des postures qu’elles ont prises ou préconisées. Dans le cas de la Dr. Stella Nyanzi, activiste ougandaise, pendant un certain temps les infox ont porté sur l’état de sa santé mentale – une stratégie souvent utilisée contre les femmes qui se font entendre. On a également mis en œuvre ce type de tactique de désinformation de genre lors d’événements importants comme les élections. Quant à la pandémie de COVID-19, on a pu observer sur les plateformes de médias sociaux des cas d’infox véhiculant des stéréotypes de genre préjudiciables et des utilisations d’informations à caractère personnel à mauvais escient.

APCNouvelles : Cette initiative a été lancée dans un contexte de COVID-19. Pouvez-vous nous donner des exemples de mesures prises par vos gouvernements sur la désinformation liée à la pandémie dans la région ?

PROTEGE QV : Face à la soudaine apparition de la COVID-19, le gouvernement [camerounais] a dû mener en toute urgence des campagnes d’information pour sensibiliser la population à la maladie et limiter les comportements à risque. Pour s’assurer de mettre à disposition des informations fiables, le ministère de la Santé ainsi que d’autres ministères (notamment le ministère de la Communication et le ministère pour l’Autonomie des Femmes et la Famille), conjointement à l’Agence nationale des technologies de l’information et des communications, ont commencé à envoyer des informations fiables à la population sur les plateformes de médias sociaux et les téléphones portables par le biais de messages portant sur l’évolution de la maladie et la manière de freiner sa diffusion.

CIPESA : Dans de nombreux pays africains, les médias sociaux ont été inondés de spéculations et d’informations fallacieuses ou erronées sur la COVID-19. En Ouganda, des signalements non vérifiés ont circulé sur un ressortissant rwandais testé positif au COVID-19 qui se serait échappé en Ouganda. Au Kenya, un groupe d’autodéfense a battu à mort un homme suspecté d’être atteint du coronavirus sur la base de fausses informations.

Les autorités nationales de la santé et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) luttent également contre la désinformation sur le virus à travers des démentis, à la fois en ligne et hors ligne. Ainsi, le ministère ougandais de la Santé a réfuté sur ses comptes de médias sociaux plusieurs faux signalements de cas positifs qui ont circulé après la confirmation du premier cas. De nombreux gouvernements africains ont ouvert des portails, des lignes d’appel gratuit et des chaînes sur WhatsApp pour diffuser des informations fiables sur la pandémie et permettre aux citoyens de signaler les cas suspects. Ces chaînes sont disponibles dans plusieurs langues.

La lutte contre les infox en ligne a également pris un tour législatif, ce qui a soulevé certaines inquiétudes. Lorsque l’Afrique du Sud a déclaré la COVID-19 désastre national, des réglementations criminalisant la diffusion de fausses informations sur le virus ont été approuvées, avec des peines pouvant atteindre six mois de prison, une amende, ou les deux.

Au Kenya, le ministère de la Santé a déclaré que les informations fallacieuses compromettaient les efforts du gouvernement pour combattre la COVID-19 et a menacé d’arrestation toute personne qui diffuserait de fausses informations. La loi kenyane relative à la cybercriminalité a déjà été invoquée pour entamer des poursuites à l’encontre de deux personnes accusées de diffuser de fausses informations. Le célèbre blogueur Robert Alai a été inculpé pour avoir déclaré que deux personnes étaient mortes dans la ville côtière de Mombasa, et une autre personne a été arrêtée pour avoir allégué que le gouvernement mentait sur le premier cas de coronavirus au Kenya.

Le régulateur ougandais des communications a émis une alerte contre la circulation de fausses informations sur la COVID-19. Le pasteur Augustine Yiga a été inculpé en mars 2020 pour avoir nié l’impact du coronavirus en Ouganda.

En Guinée, Kaka Touda, un journaliste indépendant, a été arrêté début mars pour avoir posté sur un média social des informations sur un cas possible de COVID-19 dans le principal hôpital du pays.

Pour plus d’informations sur le traqueur d’infox, veuillez lire l’article de presse de CIPESA ici.

Vous trouverez plus d’informations sur les réponses de la Coalition de la Déclaration africaine à la COVID-19 ici

 

 



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