Les TIC, l'accès public et le FGI africain

Par ET Éditeur APCNouvelles    

« Les Africains pensent que l’internet est important et ne veulent pas seulement y avoir accès, mais veulent savoir également comment et par qui il est régi », déclare Emilar Gandhi d’APC revenue récemment du Forum sur la gouvernance de l’internet (IGF) africain qui s’est tenu à Abuja, au Nigeria, où elle a co-organisé un atelier sur l’accès public aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Emilar a pris le temps de répondre à APCNouvelles sur les questions d’accès abordées au FGI africain. Plaidant pour inclure les TIC dans le programme de développement des Nations Unies post-2015, Emilar apportera son message au prochain FGI mondial.

Comment les TIC peuvent-elles favoriser le développement?

Les TIC favorisent le développement à bien des égards – elles transforment les sociétés et alimentent l‘économie mondiale. Au niveau le plus fondamental, les TIC permettent aux entreprises d‘être plus productives, stimulant ainsi la croissance économique et les aidant à être plus compétitives. L’accès accru à l’internet a contribué à la croissance de nombreuses industries et petites et moyennes entreprises en Afrique. Dans le secteur financier, par exemple, les téléphones mobiles ont transformé le comportement des consommateurs en matière de services bancaires et permis de promouvoir l’inclusion financière.

Les TIC peuvent également étendre la portée et l’efficacité des projets de développement social et ont déjà beaucoup apporté dans des domaines comme la santé, l‘éducation et l‘écologie. L’adoption des TIC par le secteur public permet également aux gouvernements d‘être plus efficaces, responsables et transparents.Pourtant, malgré leur potentiel, les avantages des TIC ne sont pas répartis uniformément ou de manière égale. Favoriser l’inclusion sociale et la croissance économique est un des principaux défis que les décideurs africains doivent relever.

Quelles sont les nouvelles tendances en matière d’accès à l’information en ce moment, à l‘échelle mondiale et en Afrique?

En général, les services internet abordables restent hors de portée de la plupart des Africains. En 2012, l’UIT a estimé que l’accès internet était de 77 % en Europe et de seulement 7 % en Afrique. La tendance est la même pour l’accès haut débit.

En Afrique, de plus en plus de gens tendent à utiliser les téléphones mobiles compatibles internet (téléphones intelligents), les tablettes, les ordinateurs personnels, tels que les ordinateurs portables et les micro ordinateurs portables. L’accès internet a connu une croissance rapide, mais la majorité des gens reste encore en dehors des zones de couverture et le coût d’accès est encore très élevé pour les abonnés. Le haut débit mobile a été facilement adopté, mais il est très cher et les débits sont relativement lents.

Les habitants des villes africaines ont de plus en plus accès à l’internet – mais les ruraux sont encore mal desservis par les infrastructures et les services de TIC. Les inégalités d’accès sont encore plus criantes en ce qui concerne les groupes marginalisés tels que les femmes, les personnes handicapées et les pays les moins avancés en général. L’accès internet devient donc à la fois une question de réglementation et de droits humains.

Il faut également savoir que l’on met trop l’accent sur ​​les technologies mobiles et pas assez sur la technologie transversale qui nécessite une collaboration intersectorielle, en particulier au niveau des gouvernements. Les stratégies nationales de haut débit ont été largement adoptées, mais elles manquent d’objectifs d’abordabilité ou d’accessibilité et dépendent trop des opérateurs mobiles existants pour répondre à la demande au lieu d’ouvrir les marchés à la concurrence et faire baisser les prix.

Que veut dire l’accès public aux TIC dans le contexte du développement en Afrique?

Pour beaucoup d’Africains, l’accès haut débit reste inaccessible. Pour certains, les écoles, les bibliothèques et les cybercafés demeurent le seul moyen d’accéder à l’internet. Nous devons lutter contre l’idée voulant que l’accès public n’est plus nécessaire parce que tout le monde aura un téléphone intelligent ou une tablette. Même si c’est le cas, la recherche approfondie menée par le Groupe sur la technologie et le changement social de l’Université de Washington montre que les gens continuent de vouloir bénéficier d’un soutien technique ou de contenu et d’un espace sécurisé accessible en dehors de la maison ou du travail.

Penser que l’accès public sera le moyen d’ajouter un nouveau milliard d’internautes est illusoire. Les personnes déjà connectées ont également besoin d’un accès public. La plupart des Africains connectés consultent peu l’internet en raison du coût élevé de l’accès, de la lenteur du débit et des limites des téléphones mobiles, notamment la mauvaise interface et la taille de l‘écran. Il est certain qu’un meilleur accès public aidera ceux qui n’ont pas d’autre forme d’accès, mais ils ne seront pas un milliard.

Pendant l’atelier que vous avez organisé avec la Fédération internationale des associations de bibliothécaires (IFLA) sur l’accès public aux TIC, de quelles options concrètes avez-vous parlé et de quoi dont-on tenir compte pour en faire des options réalistes?

Les bibliothèques sont idéales pour assurer un accès public et il est efficace d’utiliser les infrastructures et les ressources existantes. Les bibliothécaires sont des parties neutres respectées qui connaissent déjà l’importance de l’accès à l’information. Mais il faut aider les bibliothécaires à renforcer leurs compétences techniques.

Les écoles sont également un endroit idéal, mais le système scolaire devra changer ses politiques pour permettre l’accès à l’internet à d’autres personnes que les élèves en dehors des heures d’enseignement.

Certaines postes envisagent de donner à chacun une adresse courriel et un endroit pour recevoir des marchandises physiques et obtenir un accès public. L’Union postale universelle (UPU) a joué un rôle actif dans la promotion de cette idée, mais n’est pas suffisamment suivie.

Dans les zones rurales, l‘énergie est une contrainte importante. L‘énergie solaire coûte dix fois plus cher que l‘électricité. Il existe quelques options pour modérer les coûts. Au Sénégal, par exemple, on pourrait utuliser le Fonds de service universel pour financer l‘électrification en milieu rural. On pourrait également construire des micro-réseaux d‘énergies renouvelables en milieu rural avec une connectivité « intégrée », une solution beaucoup moins chère que l‘énergie solaire. Il existe également des modèles de partenariat entrepreneur/communauté, comme Mawingu.org au Kenya.

Comment développer les contenus locaux en Afrique?

Il n’existe pas de solution unique concernant le développement des contenus locaux. Nous sommes des peuples de tradition orale. Notre patrimoine, notre culture et notre savoir sont cachés dans des histoires orales, dans la musique et dans l’art. Ils devraient être reconnus, enregistrés et partagés avec le reste du monde. Mais la majorité de ce savoir n’est pas accessible à la population locale et il existe une « fracture des contenus ». La technologie peut contribuer à créer, à conserver, à enregistrer et à diffuser les contenus. Elle permet aux utilisateurs d‘être des créateurs de contenu et permet des échanges de savoir revu par les pairs.

Le développement des industries d’internet locales devrait être une priorité pour l’Afrique. Grâce à des registres nationaux internet efficaces (appelé ccTLD), les pays peuvent commencer à récolter les avantages associés à une identité nationale internet bien établie. Il faut des identités régionales et continentales africaines comme «DotAfrica» et des domaines régionaux pour localiser les coûts et le trafic sur le continent.

L’accès à un contenu pertinent va devenir une question encore plus importante à mesure que nous allons résoudre les problèmes de connectivité et que le prix des appareils d’accès comme les tablettes va continue de baisser. Pour développer des contenus locaux, il faut disposer d’un écosystème internet qui fonctionne et qui fournisse une connectivité haut débit abordable. Il faut donc investir dans des points d‘échange Internet (IXP), des centres de données, des dorsales de fibre iHub, des alternatives au haut débit mobile, par exemple les espaces libres de la bande de télévision et d’autres options sans fil fixes pour favoriser la concurrence.

Le tout se résume à créer un contexte politique favorable et à assurer la coordination entre les différents ministères. Les organismes de service universel doivent faire le lien avec les initiatives gouvernementales, comme l’e-santé, l’e-agriculture. Il faut également une collaboration avec le secteur privé comme avec les dorsales iHub et de partenariat public-privé (PPP). Un PPP est un accord entre l‘État et des organismes privés pour développer, exploiter, entretenir et commercialiser un réseau en partageant les risques et les avantages.

Quel sera le rôle des TIC et de l’accès à l’information dans le cadre de développement post-2015? Comment trouver une place à l’accès à l’information dans ce cadre.

Les TIC ne sont pas expressément des objectifs du cadre de développement des Nations Unies post-2015, bien qu’elles aident les populations mal desservies à obtenir, gérer et diffuser les connaissances et à puiser dans les réseaux mondiaux d’information et de services. En bref, les TIC favorisent le développement. Le cadre de développement post-2015 doit inclure des questions fondamentales comme l’accès à l’information, les infrastructures et le respect des droits humains, tous liés aux TIC. Nous espérons que les TIC seront au moins incluses dans le cadre comme indicateurs, sinon comme objectif de développement durable.

Quelle est la prochaine étape?

Les idées évoquées lors de l’atelier d’Abuja alimenteront les discussions sur le nouveau cadre de développement post-2015 qui auront lieu à l’ONU, à New York. Le message sur les TIC sera également transmis à la réunion de la Coalition dynamique sur l’accès public dans les bibliothèques au FGI mondial qui aura lieu à Istanbul, en Turquie, en septembre 2014.



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