Traire une vache qu’on ne nourrit pas : les taxes élevées en Ouganda entravent-elles la croissance des télécommunications?

Par Wairagala Wakabi et Alan Finlay Éditeur APCNouvelles     JOHANNESBURGO,

poste d'appel avec prixposte d’appel avec prixL’Ouganda a été parmi les premiers pays d’Afrique à développer une politique sur l’accès universel aux télécommunications. Malgré de nombreuses maladresses relatives à la libéralisation de son secteur des télécommunications, le pays est respecté par plusieurs pour ce qui est considéré comme une approche pro-active et d’une portée considérable pour fournir l’accès à la technologie de l’information et de la communication (TIC) pour les pauvres.

Le Rural Communications Development Fund (RCDF – Fonds de développement des communications rurales), qui a été mis en place en 2001, est l’un des outils qui ont permis au gouvernement de motiver et de mobiliser l’investissement du secteur privé dans les zones rurales. Il offre des subventions et des bourses qui servent de motivations pour l’investissement. Le fonds est similaire à ceux qui existent dans plusieurs pays en développement à travers le monde et est principalement le résultat d’une déduction de 1% sur les revenus des opérateurs des télécommunications.

Le RCDF a eu un impact impressionnant à travers la mise à disposition des subventions. Il a aidé à mettre en place des points internet dans 20 districts en Ouganda, des sites web dans 54 autres, des cafés internet dans 55 et des centres de formation aux TIC dans 30 autres districts. Il a également aidé à déployer 316 publiphones – entraînant le dépassement de la barre d’un téléphone public pour 1000 personnes, le rapprochant ainsi de l’objectif national de 1200. Par ailleurs, le fonds a appuyé cinq télécentres et a aidé à mettre en place deux institutions de connectivité internet.

Les chiffres de la télédensité ont bondi de 12% en 2006 à 22% en juillet 2008 – à mi-chemin de l’objectif de service universel qui est de 40% d’ici à 2012.

Accès rural sapé

Néanmoins, ce bon travail a une ombre – une ombre qui revêt la forme de fortes taxes sur certains services de télécommunications. L’Ouganda a une taxe de 12% sur les services de téléphonie mobile, en plus des 18% standard de TVA. En juin 2006, il a introduit une taxe de 5% sur les services de téléphone fixe. Actuellement, les services de lignes fixes comportent une taxe d’utilisation de 23% (18% de TVA et 5% de taxes).

C’est une situation qui tient de l’anomalie dans un pays où il n’existe pas d’imposition sur les importations d’ordinateurs personnels. Beaucoup soutiennent que les taxes élevées minent les objectifs du RCDF, et entravent la croissance d’un marché des télécommunications sain au niveau national. Et alors que les taxes soulèvent l’indignation dans les rangs des opérateurs, les analystes soutiennent que c’est le consommateur qui est extorqué.

L’Association GSM, une association mondiale d’opérateurs de mobiles, affirment que les pays africains comme l’Ouganda devront baisser les taxes imposées aux opérateurs de cellulaires s’ils veulent encourager une pénétration rapide et aider leurs économies à se développer plus vite. Selon l’étude, les dix marchés ayant les taxes les plus élevées sur la téléphonie mobile au niveau mondial sont l’Ouganda, la Zambie, la Tanzanie, le Kenya, le Brésil, l’Argentine, l’Equateur, la Turquie, la Syrie et l’Ukraine.

Les taxes fixes payées au moment de la souscription et celles payées après par les utilisateurs de mobiles, en plus des taxes de vente traditionnelles, des taxes variables telles que la TVA prélevée sur l’utilisation de mobiles, de même que les taxes sur l’importation et la vente de terminaux mobiles se sont révélées élevées sur plusieurs marchés africains. Dans les pays à taxes élevées – s’élevant à 25% à 30% des coûts au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie et en Zambie – l’expansion des services mobiles a été plus lente que dans ceux ayant des droits de douane plus faibles comme le Nigeria, le Soudan, l’Egypte et l’Afrique du Sud.

Les intentions ratées ont des conséquences pour les pauvres

Mais ce n’est pas seulement dans le cas des taxes que l’Ouganda s’est planté dans ses efforts pour être à la hauteur des obligations de sa politique. Certains soutiennent que le lent processus de libéralisation du pays, de même que la privatisation maladroite du premier opérateur, Uganda Posts and Telecommunications Corporation (à présent Uganda Telecom Limited, UTL) ont eu un impact tout aussi grave sur l’accès universel. Dans le premier cas, on affirme que le processus intermittent de la libéralisation attestait d’un gouvernement désespérément en quête d’argent, et cherchant à obtenir le prix fort pour l’opérateur titulaire – prêt à mettre en veilleuse les objectifs d’accès pour y parvenir. La réticence jusqu‘à fin 2006 à ouvrir totalement le secteur afin d’accueillir plus d’acteurs du marché pourrait aussi être appréhendée sous cet angle.

Le processus de privatisation de l’UTL a été tout sauf régulier, surtout au début, entravé par un certain nombre de maladresses politiques. Ceci a sapé sa profitabilité pour des années et a contribué à maintenir les services de télécommunications hors de portée de la majorité des Ougandais. Ces erreurs ont trait à la façon dont la privatisation du premier opérateur a été menée, à sa gestion après privatisation de même qu’aux fréquents changements dans la détention des actions, le tout s’insérant souvent dans une ponction de la profitabilité de l’UTL.

Il y avait aussi des accusations généralisées de corruption dans le programme de privatisation de l’Ouganda, avec des critiques selon lesquelles les entreprises étaient sous-évaluées, vendues à des amis des membres du gouvernement, ou à des compagnies qu’ils ont créées. Ceci a conduit à arrêter le programme de privatisation deux fois vers la fin des années 90.

Certains soutiennent que c’était le fait de dire une chose et d’en faire une autre. Initialement, la loi avait requis que UTL soit privatisé avant que le second opérateur national (SON) MTN Uganda reçoive sa licence. Mais la loi fut changée de façon controversée à la dernière minute pour accorder une licence au SON avant de mener la privatisation, apparemment parce que le gouvernement avait besoin d’injection rapide de liquidité qui proviendrait de cette opération.

La justification du gouvernement selon laquelle la compétition forcerait l’UTL à devenir plus compétitif et, par conséquent, plus profitable et plus attrayant aux prétendants ne s’est pas vérifiée. La compétition s’est avérée trop chaude, avec peu de compagnies intéressées quand finalement UTL a été mis sur le marché.

Pour tirer profit des télécoms, il est nécessaire d’avoir une politique bien claire

L’équilibre des impératifs en Ouganda semble inégal – et, du moins lorsqu’il s’agit des impôts, les politiques sont en contradiction avec la réglementation. Les biens de l’Etat devraient être utilisés pour maximiser les bénéfices pour le gouvernement afin qu’il puisse se permettre de financer plusieurs initiatives importantes. Cela profite aux pauvres. Un pourcentage des bénéfices élevés faits par les opérateurs de télécommunications doit aussi être injecté dans le développement, comme c’est le cas avec le RCDF. Les taxes ne sont pas une mauvaise chose.

Mais l’Ouganda a montré que, quand il s’agit des télécommunications, l’équilibre penche facilement en faveur du financement des coffres vides au dépens de buts politiques louables comme l’accès universel. Que les télécommunications offrent des gains lucratifs à ceux qui sont concernés renforce simplement la nécessité de décisions politiques claires et incorruptibles.

Cet article a été écrit dans le cadre du projet Communiquer pour influer en Afrique Centrale, de l’Est et de l’Ouest par APC, afin de promouvoir le plaidoyer pour un accès abordable aux TICs pour tous. CICEWA cherche à définir les obstacles politiques qui préviennent un accès abordable à l’infrastructure des TIC en Afrique et à demander leur élimination afin de créer une plateforme solide pour la connectivité sous-régionale en Afrique de l’Est, de l’Ouest et Centrale.

Photo par make_change. Utilisée avec permission sous la licence Creative Commons License 2.0.



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