Le président destitué après la répression brutale des manifestations au Soudan, tant hors ligne qu’en ligne

Portrait d'Alaa Salah, qui est devenue une figure emblématique des protestations pacifiques au Soudan. Partagé par Salah sur Twitter

Par Liemia El-Abubkr Sudan,

Article publié d’abord sur le site d’APC, en anglais et dans le Alternatives International Journal. Traduit en français par Marie Perrier, membre du Comité de rédaction du Journal des Alternatives.

Les manifestations au Soudan ont atteint un niveau sans précédent, les femmes et les jeunes étant à l’avant-garde d’un mouvement pour le changement qui semble avoir réussi à évincer le président Omar el-Béchir, après des mois de lutte en ligne comme hors ligne. Mais comment tout cela a-t-il commencé ? Revenons sur les événements.

Des mois de protestations et de répression, dans la rue et en ligne

Le 19 décembre 2018, une manifestation a débuté à Atbra, une ville au nord du Soudan, contre l’augmentation des prix des denrées alimentaires et la pénurie générale. Alors que le mouvement de protestation s’est rapidement transformé en une mise en question du régime d’el-Béchir, les manifestants ont été brutalement réprimés, avec 19 personnes tuées selon les rapports officiels, 59 personnes (parmi lesquelles des enfants) selon les organisations de défense des droits humains et les groupes d’opposition. En plus de réprimer les manifestations, le gouvernement soudanais a bloqué les services en ligne ainsi que les plateformes de réseaux sociaux. Selon Reuters, les utilisateurs des trois principales sociétés de télécommunications soudanaises (Zain, MTN et Sudani) ont indiqué qu’ils ne pouvaient accéder à Facebook, Twitter et WhatsApp que via un réseau privé virtuel (VPN).

Dans le même temps, les services nationaux de renseignement et de sécurité (NISS) ont ciblé les médias locaux et les correspondants des médias internationaux. Selon Reporters sans frontières, au moins 79 journalistes ont été arrêtés en l’espace de deux mois et des dizaines de reporters internationaux ont été expulsés du pays. 

Le Soudan est signataire de conventions internationales et régionales relatives aux droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui visent à garantir la liberté d’expression et la liberté de la presse. Cependant, la signature ne s’est pas traduite par le respect de la législation internationale, et les droits à la liberté d’expression et à l’accès à l’information continuent d’être violés au quotidien.

Pendant plus de vingt ans, le gouvernement soudanais a exercé un contrôle de la presse, des radios et des chaînes de télévision, mais tandis que de plus en plus de gens se tournent vers les médias en ligne et les réseaux sociaux, les services de sécurité se sont tournés vers le blocage de l’accès à Internet ou le ralentissement des connexions durant les manifestations ou les grands événements politiques. Lors des manifestations massives qui se sont tenues en 2012 et 2013, le gouvernement a bloqué l’accès pour tout le pays pendant 24 heures, ce qui a causé d’énormes pertes et provoqué l’indignation internationale. 

Même au travers de serveurs mandataires (proxys), Internet comme les réseaux sociaux ont continué à jouer un rôle colossal dans les protestations qui se sont répandues dans tout le pays. Selon le défenseur des droits humains Manal Abed Elhaliem, qui a été interrogé par l’auteure : « Tout est documenté. La violence des forces de l’ordre, les manifestations quotidiennes.... Les vidéos et les images partagées par les manifestants via les réseaux sociaux ont remplacé les chaînes de télévision et de radio, auxquelles les gens ne font pas confiance pour obtenir des informations fiables sur ce qui se passe présentement ».

C’est dans ce contexte que, le 11 avril, l’armée soudanaise a perpétré un coup d’État contre le président el-Béchir. Même si l’éviction est largement célébrée, les organisateurs des manifestations ont accusé l’armée d’usurper le pouvoir, affirmant que ce sont les civils qui devraient diriger le gouvernement de transition. Ou, comme l’a déclaré Alaa Salah, qui est devenu une icône des manifestations pacifiques au Soudan :

« Le peuple ne veut pas d’un conseil militaire de transition Le changement ne viendra pas par la main du régime de el-Béchir qui leurre les civils soudanais avec ce coup d’État militaire. Nous voulons un conseil civil pour diriger la transition ». 

Des pressions internationales seront nécessaires pour s’assurer que la transition s’opérera sans de nouvelles violences. Parmi les mesures qui devront être mises en place, il faudra que la législation nationale soit réformée pour s’aligner sur les normes internationales relatives aux droits humains. En attendant, plus les défenseurs des droits humains, les journalistes et les activistes des réseaux sociaux bénéficieront de formations et de protections accrues, meilleures seront leurs chances de continuer à défendre les libertés et droits fondamentaux pour améliorer leur pays en ces temps historiques.

Liemia El-Abubkr est une journaliste soudanaise qui travaille avec différents journaux depuis plus de 15 ans. Elle est co-fondatrice d’un réseau de femmes journalistes soudanaises et vice-présidente de Journalistes pour les Droits Humains - Afrique. Elle a contribué à l’Observatoire Mondial de la Société de l’Information d’APC (Association for Progressive Communications). Son organisation Alalag Press Center travaille en partenariat avec Alternatives.


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