Les droits de l’internet sont des droits humains, proclame APC devant le Conseil des droits de l’homme

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Les droits de l’internet sont des droits humains

Cette déclaration a été soumise au Conseil des droits de l’homme qui se prépare pour sa dix-septième session ordinaire.

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APC se réjouit du rapport annuel du Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression qui porte largement sur l’internet. L’accès à l’internet facilite la liberté d’expression et la liberté d’association, il permet le partage du savoir, l’apprentissage et la collaboration, et est un moteur pour le développement économique et social. Pourtant, comme le rapport l’expose, l’accès à l’internet est de plus en plus menacé. Récemment, des fermetures de l’internet ont limité la liberté d’expression, la liberté d’association et de discussions politiques.

Le rapport met en avant les sujets de droits humains qui suscitent le plus d’inquiétudes, et notamment : a) la criminalisation de l’expression en ligne, b) le blocage, le contrôle et la manipulation des contenus de l’internet, c) les interférences avec la vie privée et la protection des données, d) la surveillance illégale et les restrictions et e) les limitations de l’accès à l’internet. De telles actions constituent une violation des droits humains et des libertés fondamentales décrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et le droit à la liberté d’expression proclamé dans l’article 19 de l’ICCPR.

La restriction de la libre expression et de la libre circulation des informations sur l’internet est une tendance globale. Les dénonciations en ligne de la répression sont souvent censurées ou interdites, ce qui va à l’encontre des standards de droits humains, et leurs auteurs risquent leur liberté et leur sécurité. L’impact de la violation de ces droits est d’autant plus fort dans les États sans protection solide des droits humains, mais tous les États sont toutefois tenus de faire respecter les normes universelles accordées sur les droits humains internationaux. Nous louons le Rapporteur spécial pour avoir attiré l’attention sur ces questions.

Pouquoi les droits internet sont-ils importants?

Les droits humains s’appliquent à tous et sont reconnus dans la DUDH comme étant universels, inaliénables et indivisibles. Il est vital que ces normes internationales accordées sur les droits humains servent de base pour que tous les États respectent, protègent et promeuvent les droits humains en ligne ou non, en prenant en compte les nouvelles technologies, notamment l’internet qui est utilisé par des milliards de personnes dans le monde et qui fonctionne suivant une infrastructure décentralisée sans supervision réglementaire.

La liberté d’expression est liée de près à la liberté d’association, et les deux jouent un rôle crucial pour garantir la démocratie et les droits humains. APC souhaite donc faire part de sa grande inquiétude quant aux violations sérieuses envers les droits humains commises par des acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux à l’encontre de personnes qui utilisent l’internet et d’autres technologies pour servir la participation démocratique et la liberté de parole politique. Nous appelons à mettre un terme à ces violations et à rechercher des mesures œuvrant pour la protection et l’amélioration de la démocratie et des mouvements luttant pour la justice sociale.

Que sont des intermédiaires de l’internet?

Les intermédiaires de l’internet sont les fournisseurs de service internet, les cafés internet, les hébergeurs de blogues, les opérateurs de mobiles, les fournisseurs de plateformes de réseautage social et les moteurs de recherche. Tous jouent un rôle essentiel pour la communication en ligne et pour faire respecter la liberté d’expression et la liberté d’association en offrant l’accès aux réseaux et en rendant la participation en ligne possible. Les activités gouvernementales interférant avec la fluidité des activités en ligne augmentent, avec des conditions d’obtention de licence exigeant de plus en plus la collecte des données des utilisateurs, l’octroi d’informations sur le compte des utilisateurs, l’exigence d’un contrôle du contenu et du comportement en ligne, et l’érosion de la protection concernant la responsabilité pour le contenu d’une tierce personne.

Le Rapporteur spécial a été dans l’impossibilité de consulter dans toutes les régions au cours de l’année passée. APC compte plus de 40 membres et un réseau mondial. Nous travaillons avec de multiples organisations de la société civile très diverses qui ont elles-aussi des réseaux internationaux, régionaux et nationaux. Les questions globales soulevées par le Rapporteur spécial exigent une réponse globale.

Quels sont les résultats de l‘évaluation?

Le rapporteur spécial surligne des nouveaux thèmes émergents quant aux droits humains. Par exemple, l’accès est fondamental pour exercer les droits à la liberté d’opinion et le droit d’association. Nous répétons que l’accès est un concept multi-dimensionnel qui comprend non seulement l’accès physique à l’internet mais aussi l’accès dans sa propre langue locale, l’accès pour les gens avec des handicaps et l’accès au contenu produit localement.

Nous félicitons le Rapporteur spécial d’avoir souligné l’importance des droits humains des femmes. Nous rappelons les engagements des États envers les droits humains des femmes et le récent intérêt de la Commission de la condition de la femme envers les femmes, les sciences et les technologies. Les droits des femmes à la liberté d’expression et la liberté d’association doivent être respectés et protégés. Toutes formes de violence basée sur le genre (y compris la violence conjugale, la violence sexuelle et le harcèlement) tant dans les sphères publiques que privées sont des formes de discrimination et une violation des droits humains des femmes (Recommandation générale 19, Comité pour l‘élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes – 11è session, 1992). Les gouvernements doivent prendre toutes les mesures pour empêcher et éliminer ce type de violence. En ce qui concerne l’internet, cela consiste à assurer que les lois, les politiques et procédures ne permettent pas ou n’engendrent pas de nouvelles formes de violence à l’égard des femmes comme le harcèlement en ligne, la surveillance numérique, le contrôle des données et autres interférences avec les droits des femmes. Les droits humains des femmes doivent être respectés et protégés, et non restreints, directement ou indirectement, au nom de la « sécurité » ou par des exceptions aux mesures de renforcement de la loi déterminées selon les normes accordées de droits humains, et notamment les normes de droits humains des femmes.

Nous insistons sur le fait que la réflexion sur les droits humains et l’internet exige une approche intersectionnelle qui seule serait à même d’établir les liens entre, par exemple, l’accès universel à l’infrastructure, l’accessibilité et la convivialité pour les groupes marginalisés et la promotion de la diversité linguistique. Pour que l’internet réalise son potentiel de plateforme pour le partage de l’apprentissage, l’innovation, la solidarité et les actions collaboratives pour la justice, de nombreux facteurs préoccupants doivent être pris en considération. On citera notamment les tendances actuelles à la limitation de la liberté d’information par le renforcement des droits à la propriété intellectuelle, le mépris flagrant pour les renseignements personnels des plateformes de réseautage social, et l’incorporation d’outils de surveillance à l’infrastructure du réseau.

Que sont les prochains pas?

L’application claire des normes internationales actuelles des droits humains sur l’internet réalisée par le Rapporteur spécial souligne la nature fondamentale de ces standards et montre clairement le chemin à suivre. Ces standards ont été réitérés par les groupes de la société civile au cours des vingt dernières années, y compris par la Charte des droits de l’internet d’APC qui démontre comment appliquer la DUDH pour l’internet. À partir de ce travail, un ensemble de 10 droits et principes de l’internet [en anglais] a récemment été établi pour servir de guide pour le respect des droits humains sur l’internet.

Nous reconnaissons que le sujet des droits humains et l’internet est nouveau pour le Conseil des droits de l’homme. Le Conseil compte cependant avec une expertise inestimable qui peut être utilisée pour enrichir les discussions sur les droits humains, dans des espaces techniques ou spécifiques de certains secteurs liés à l’internet comme le Forum de gouvernance de l’internet, le Sommet mondial sur la société de l’information, l’Union internationale des télécommunications. Le Conseil des droits de l’homme doit continuer son rôle, conformément à son mandat qui est de « promouvoir le respect universel et la défense de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales, pour tous, sans aucune sorte de distinction et de façon juste et équitable » (AG 60/251, OP 2).

Nous exhortons le Conseil à adopter une approche de participation publique pour l’élaboration de réponses aux problèmes soulevés par le Rapporteur spécial. Ces réponses doivent provenir d’un processus ouvert, qui assure la participation de tous, et notamment celle des groupes vulnérables et marginalisés, conformément aux approches et principes basés sur le droit au partage de l’information, la participation et la transparence.

RECOMMANDATIONS

Compte tenu des questions soulevées dans le rapport du Rapporteur spécial nous faisons les recommandations suivantes:

Nous appelons les gouvernements à:

  • Prendre immédiatement des mesures pour mettre fin à la violence, le harcèlement et autres violations des droits humains commises à l’encontre de personnes en raison de l’exercice de leurs droits humains et libertés fondamentales sur l’internet
  • Prendre immédiatement des mesures pour arrêter les interférences illégales avec la liberté d’expression y compris sur l’internet
  • Abroger les lois qui criminalisent la liberté d’expression en ligne et relâcher les personnes détenues en vertu de ces lois
  • Stopper toute interférence avec la liberté d’expression par le contrôle des contenus, le filtrage, la surveillance ou toute autre interférence avec la vie privée par des moyens en violation avec les normes internationales de droits humains
  • Limiter les limitations à la liberté d’expression et ne mettre de limitations à la liberté d’expression qu’en accord avec les normes internationales des droits humains.
  • Mener si nécessaire des recherches indépendantes en cas d’allégation contre la liberté d’expression, uniquement en vertu des normes internationales sur les droits humains
  • Réaffirmer le fait que les droits humains sont universels, indivisibles et interconnectés
  • Réaffirmer le droit à la liberté d’expression et notamment la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, comme établit dans l’article 19 de la DUDH et de l’ICCPR
  • Faire respecter la loi et ne poser de limitations à la liberté d’expression qu’en vertu des exigences émises dans les normes accordées des droits humains
  • Faire respecter les responsabilités pour respecter, protéger et promouvoir les droits humains et notamment la liberté d’expression et d’association
  • S’assurer que la liberté d’expression, y compris dans l’internet, est consacrée par les lois nationales, et notamment les constitutions, comme droit humain fondamental
  • Respecter, protéger et promouvoir le rôle des défenseurs des droits humains, ainsi que leur liberté d’association
  • S’assurer que les lois de respect de la vie privée, de collecte de données et de surveillance satisfassent aux standards internationaux des droits humains et ne visent pas, directement ou indirectement, les groupes marginalisés ou vulnérables, notamment sur la base de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre
  • Étudier les questions soulevées dans le rapport et en référer aux autorités et institutions nationales pour qu’elles soient examinées dans leurs contextes spécifiques
  • Mettre de l’avant les questions de droits humains et internet dans leurs rapports périodiques pour les organismes signataires du traité
  • Communiquer au Rapporteur spécial les mesures permettant de faire respecter la liberté d’expression et toute décision liée à l’internet
  • Inclure les questions liées aux droits humains et à l’internet dans les rapports aux mécanismes spéciaux et les rapports et procédures de la Révision périodique universelle

Nous encourageons tous les organismes des Nations Unies à prendre les mesures suivantes:

  • S’assurer que le cadre des droits humains est cohérent en ce qui concerne l’internet dans l’ensemble des autorités
  • (en particulier pour le Conseil des droits de l’homme) S’occuper de ces questions de droits humains, notamment dans les processus de Révision périodique universelle
  • (en particulier pour les procédures spéciales et autres bailleurs de fonds) Soumettre, suivre et signaler toute violation des droits humains liée à l’internet dans leurs mandats correspondants et si besoin, rédiger des appels ou des lettres urgentes aux gouvernements lorsque des violations aux droits humains liés à l’internet sont détectées
  • (en particulier pour les organismes signataires du traité) Expliquer, si besoin par déclarations d’interprétation, que les violations aux droits humains liées à l’internet tombent sous leur juridiction
  • Tout autre effort permettant de prendre en compte l’ensemble des questions liées aux droits humains et à l’internet, concernant notamment les droits humains des femmes

En ce qui concerne la promotion et la protection des droits humains nous préconisons:

  • L’ampliation du dialogue sur l’application des standards actuels des droits humains sur l’internet, concernant notamment la liberté d’expression et la liberté d’association
  • La reconnaissance par divers groupes que les droits de l’internet sont des droits humains
  • Plus de recherches sur le rôle de l’internet et autres technologies de communication sur les droits humains des femmes, et notamment leurs droits concernant la santé reproductive et sexuelle, l’impact des lois, des politiques et des procédures sur leur jouissance de ces droits
  • Une éducation aux droits humains pour les membres du système judiciaire, législatif, militaire et les fonctionnaires sur les aspects liés à l’internet dans les droits humains
  • Des mécanismes régionaux pour les droits humains afin de surveiller la situation des droits humains et de l’internet
  • Des institutions nationales pour les droits humains, notamment pour les données et le respect de la vie privée et autres médiateurs, afin d’observer et d‘établir un rapport sur les droits humains et l’internet

Nous appelons les intermédiaires de l’internet et tous les acteurs non-gouvernementaux pertinents à:

  • Résister et refuser toute tentative des États pour interférer avec les droits humains des utilisateurs de l’internet qui respectent la loi, reconnaissent les standards et normes internationales de droits humains en vigueur
  • S’assurer qu’aucune auto-régulation de contenu n’enfreigne le droit des utilisateurs à la libre expression
  • Prendre des actions pratiques pour faire respecter les standards des droits humains, et notamment mettre en place le cadre du Représentant spécial sur les droits de l’homme et les sociétés transnationales sur les directives pour les entreprises et les droits humains
  • Plaider pour des cadres légaux et politiques qui fassent respecter les standards des droits humains liés à l’internet
  • Encourager les États à élaborer des politiques liées à l’internet qui portent sur les droits humains, la transparence, la sauvegarde des libertés individuelles et l’imputabilité

Endossements

Prof. Wolfgang Kleinwächter, University of Aarhus, Denmark
William J. Drake, University of Zurich, Switzerland
Marcin de Kaminski, The Julia Group / Juliagruppen, Sweden
Mera Szendro Bok, Communication Is Your Right!, USA
Brett Solomon, Access Now, USA
Calvin Gotlieb C.M. Ph.D. FRSC FACM, Professor Emeritus, University of Toronto, Canada
Patricia Peña, Docente, Instituto Comunicación e Imagen Universidad de Chile, Chile
Victoria Uranga, Universidad Diego Portales, Chile.
Maria Goñi Mazzitelli, Uruguay
Julián Casasbuenas, Colnodo, Colombia
Alejandra Davidziuk, Links.org.ar, Argentina
Margarita Salas, Costa Rica
Olinca Marino, Laneta, Mexico
Avis Momeni, Protege QV, Cameroon
Al Alegre, Foundation for Media Alternatives, Philippines
Shahzad Ahmad, Bytes for All, Pakistan
Graciela Selaimen, Instituto Nupef, Brazil
Flavia Fascendini, Nodo Tau, Argentina
Florencia Roveri, Nodo Tau, Argentina
Florencia Flores, Argentina
Uca Silva, RELAC, Chile
Paula Carrion, Ecuador
Bazlur Rahman, Bangladesh NGOs Network for Radio and Communication (BNNRC), Bangladesh
Tracy Rosenberg, Executive Director, Media Alliance, USA
Giovanna Tipan Barrera, Ecuador
Arthit Suriyawongkul, Coordinator, Thai Netizen Network (TNN), Thailand
Orapin Yingyongpathana, Manager, iLaw, Thailand
Chiranuch Premchaiporn, Prachatai (Director), Thailand
Katarzyna Szymielewicz, Panoptykon Foundation, Polonia
Parminder Jeet Singh, IT for Change, India
Roberto Bustamante, Centro Peruano de Estudios Sociales, Perú
Valentina Pellizzer, owpsee, Bosnia
Danilo Lujambio, Nodo Tau, Argentina
Blogie Robillo, Mindanao Bloggers Community, Philippines
Magaly Pazello, EMERGE, Brazil
Reporters Without Borders, Paris, France
Andrew Garton, EngageMedia, Australia
Andrew Lowenthal, EngageMedia, Indonesia
Tony Stohne, Sweden
Joana Varon, Center for Technology and Society (CTS/FGV), Brazil

Photo par United Nations Information Service – Geneva. Utilisé avec permission sous la licence Creative Commons 2.0.

 

 

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