Entretien avec David Kaye, Rapporteur spécial de l'ONU, au sujet de la liberté d'expression et d'opinion

Par Leila Nachawati Rego Éditeur APCNouvelles     Jakarta,

Entretien avec David Kaye lors de la Consultation régionale sur la liberté d'expression, d'opinion et de religion en Asie.Entretien avec David Kaye lors de la Consultation régionale sur la liberté d’expression, d’opinion et de religion en Asie.

Le Rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection de la liberté d’opinion et d’expression David Kaye dont le rapport sur l’importance du chiffrement et de l’anonymat vis-à-vis des droits humains vient d‘être publié, a prononcé l’allocution d’ouverture de la Consultation régionale sur la liberté d’expression, d’opinion et de religion de Jakarta (Indonesia). APC, qui a co-organisé cette consultation régionale du 3 au 5 juin, a interrogé Kaye au sujet de son rapport et des stratégies de promotion de la liberté d’expression à l‘ère numérique.

APC salue l’initiative de Kaye qui offre une excellente occasion de renforcer les libertés fondamentales à l‘ère numérique, et a apporté sa contribution à cette consultation. Nous avons fait des commentaires au sujet de la responsabilité sociétale des entreprises, des droits des femmes et des droits sexuels, et des outils les plus performants en matière de protection de la vie privée et de respect de l’anonymat en ligne.

Leila Nachawati d’APC a mené l’entretien suivant avec David Kaye à Jakarta.

Votre récent rapport au Conseil des droits de l’homme mentionne le rôle des entreprises dans la préservation du droit à la liberté d’opinion et d’expression, mais sans entrer dans le détail quant à leurs responsabilités. Avez-vous l’intention de développer ce sujet dans vos prochains rapports ?

Effectivement, les rôles et responsabilités des entreprises sont une priorité et nous comptons élaborer une stratégie pour assurer un suivi sur cette question au cours de l‘été. Nous suivrons deux processus distincts : d’un côté, nous rendrons visite à divers acteurs d’entreprises – de la Silicon Valley à des représentants du secteur privé en Asie du Sud, en Chine et en Europe – pour les convaincre d’adhérer à des principes comme l’Initiative mondiale des réseaux et d’autres mécanismes qui leur permettent de remplir leurs obligations en matière de droits humains. D’un autre côté, nous réaliserons un rapport thématique sur le rôle et les responsabilités du secteur des entreprises.

L’expression sexuelle n’est pas considérée avec la même importance que l’expression religieuse ou politique. Que pouvons-nous faire pour en promouvoir l’inclusion dans les questions de liberté d’expression et former des alliance entre militants pour la liberté d’expression et activistes du genre ?

On peut le voir de différentes manières. Il est possible d’aborder la question de l’expression sexuelle selon le langage de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. On peut également l’aborder selon le Droit à la santé. Est-il possible de travailler en commun entre mon mandat et celui relatif à la santé ? Il faudrait rechercher la façon d’utiliser les lois et les ressources pour progresser sur ce type de question.

Au niveau international les tensions entre liberté d’expression et liberté de religion sont moins importantes qu’au niveau national. Que faire pour atténuer les tensions au niveau national, lorsque la religion est manifestement invoquée pour restreindre la liberté d’expression ?

Ce n’est pas que ces tensions n’existent pas au niveau international, mais elles sont assurément plus simples à gérer qu’au niveau national et local. Je pense que pour notre stratégie, il est essentiel de reprendre les thèmes internationaux pour les « vendre » au niveau national. Bien entendu, de nombreuses structures et institutions au pouvoir s’y opposeront, mais il nous faut trouver les coalitions au niveau national qui permettront de faire avancer les choses, et les convaincre d‘élaborer des stratégies autour de l’idée que la liberté d’expression renforce leurs droits.

La liberté d’expression a été qualifiée de « liberté des puissants à parler » (Charlie Hebdo et la « défense de la liberté d’expression » des dirigeants mondiaux). Comment s’assurer que la liberté d’expression ne serve pas à perpétuer les structures actuelles de pouvoir ?

D’un côté, la réponse serait d’avoir plus d’expression. Mais la liberté d’expression est également fondée sur une lutte contre le pouvoir, et nous voulons nous assurer de réagir lors de son instrumentalisation par les plus puissants. Les structures au pouvoir continueront d’utiliser la liberté d’expression à leur avantage, tout en réprimant les nouvelles idées qui pourraient constituer une menace pour eux. Il nous incombe de trouver comment répondre à cela et y remédier.

 

 



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