Derechos Digitales du Chili entre dans la communauté d'APC

Par AL Éditeur APCNouvelles     NEW YORK,

Voici quelques années, une ONG chilienne née dans les couloirs d’une université a réussi ce qui paraissait alors impossible : dépouiller de tout terme technique le débat sur la propriété intellectuelle et faire participer les citoyens à la réforme d’une loi pour la rendre plus juste. APCNouvelles a discuté avec Alberto Cerda et Claudio Ruiz de l’histoire de Derechos Digitales (DD), de la campagne qui a modifié les règles du jeu de l’incidence au Chili et des stratégies mises en place pour répondre aux nouveaux scénarios internationaux de régulation.

APCNouvelles : DD était à l’origine un centre de recherches de l’Université du Chili. Comment s’est faite la transition vers la société civile ?

Alberto Cerda :En effet, les premiers intégrants de Derechos Digitales étaient pour la plupart des professeurs ou des étudiants du Centre d‘études endroit informatique de l’Université. Mais la structure bureaucratique de l’institution ne nous permettait pas une vitesse de réaction politique acceptable pour le débat sur la régulation de l’internet, si bien que pour plus de flexibilité nous avons décidé de fonctionner en tant qu’ONG. Petit à petit d’autres professionnels sont arrivés (des sociologues, des journalistes, des designers), pour qui l’internet était un espace de travail et qui souhaitaient partager leur expertise professionnelle.

Claudio Ruiz : Cette diversité a progressivement modifié les stratégies visant à influencer la politique : aux mécanismes formels auxquels nous avions l’habitude, nous avons ajouté l’activisme, la politique pure et dure. Nous avons également été influencés par les réseaux que nous avons formés dans la région, ce qui explique pourquoi nous sommes aujourd’hui membres d’APC.

APCNouvelles : Comment avez-vous réussi à rendre accessibles les aspects juridiques de la propriété intellectuelle ?

Alberto : Quand Derechos Digitales a été créé en 2003, le Chili venait de signer un accord de libre échange avec les É.-U., et tant la mise en œuvre de normes sur la propriété intellectuelle que l’exclusion de la société civile du processus de négociation avaient généré un mécontentement général. Cela avait entraîné une prise de conscience sur les conséquences d’un tel accord sur l’accès aux médicaments, sur les établissements d’enseignement, sur les petites éditoriales nationales.

Claudio : En 2007 le gouvernement de Michelle Bachelet a proposé de réformer la loi relative à la propriété intellectuelle. Tout en mettant en oeuvre l’accord de libre échange avec les É.-U.,la réforme prétendait élargir les exceptions au droits de l’auteur pour permettre l’accès à la connaissance et à la culture) . Les prévisions par rapport au résultat final étaient bien pessimistes, puisque l’accord, signé quelques années auparavant, exigeait justement le contraire.

Le processus de réforme a duré plus de trois ans, et Derechos Digitales y a joué un rôle d’articulateur entre différentes organisations sociales (de bibliothécaires, d’universités publiques et leurs bibliothèques, et d‘éditeurs indépendants) qui approuvaient la loi mais à qui il manquait l’expertise judiciaire nécessaire pour influencer les mécanismes plus formels. Cette complémentarité parfaite a permis de légitimer le rôle de Derechos Digitales face aux décideurs politiques.

APCNouvelles : Comment avez-vu réussi à faire participer les citoyens à la campagne pour la loi ?

Claudio : Quand on est allés au congrès, on s’est rendu compte que les députés et sénateurs ignoraient l’importance d’intégrer la question de l’accès à la réforme. Nous avons alors réfléchi à une stratégie à double volet : d’un côté, les mécanismes formels du congrès, et de l’autre, le militantisme, tant sur l’internet que dans ce que nous appelons « la table du dimanche » : les conversations informelles des citoyens et citoyennes. Pour que les législateurs comprennent ce que nous voulions (des droits d’auteur plus équilibrés, des exceptions pour les bibliothèques et les archives, pour les utilisations non commerciales), nous avons cherché une phrase qui résume la problématique et qui reflète notre position : « Je ne suis pas un délinquent ». On voulait que les législateurs se rendent compte que sans réforme, leurs propres enfants pouvaient finir en prison. C’est là le cheval de Troie que nous avons utilisé pour parler de sujets plus importants à niveau législatif.

Notre seconde campagne, intitulée « Un traitement juste pour tous », informait sur la propriété intellectuelle au Chili et sur la réforme. Beaucoup des législateurs ont utilisé nos arguments et nos exemples dans leur discours le jour où la loi a été adoptée. Nous avons réussi à franchir la barrière qui semblait au départ infranchissable.

Alberto: Amener le débat d’une loi extrêmement technique à la table de conversation du dimanche s’est avéré essentiel. Même les programmes de télévision du matin en ont parlé.

Claudio : On voulait démontrer que la question de la propriété intellectuelle n‘était pas du ressort exclusif des experts, et qu’elle touchait notre vie à tous. C’est ce qui nous a permis de fragiliser l‘énorme influence de l’industrie discographique et des groupes de défense des droits d’auteur au niveau politique, dont l’image publique s’est finalement elle aussi dégradée.

Alberto : Ils ont mal géré le sujet, et l’ont traité comme s’il était trop compliqué pour que les gens comprennent. Les citoyens se sont sentis sous-estimés, si bien qu’une discussion qui avait été tenue à huis-clos parmi quelques groupes d’intérêt est devenue une discussion publique avec un enjeu social.

APCNouvelles : Sur le plan international, quelle est votre stratégie pour avoir une incidence sur des campagnes comme le PTP (Partenariat transpacifique) ? Et en quoi les réseaux internationaux comme APC sont-ils importants ?

Alberto : Depuis plusieurs années le profil des forums de discussion et les discussions relatives à la régulation de la propriété intellectuelle, du commerce électronique et de la prestation de services sont progressivement modifiés : pour présenter leurs programmes, les pays développés sont passés des domaines multilatéraux (comme l’OMPI et l’OMC) à des forums plus petits, où il est plus difficile pour les pays en développement de se regrouper et défendre leurs positions. Les traités de grande envergure comme le PTP cherchent à consolider cette stratégie de négociation internationale, en incluant un groupe restreint de pays disposés à faire des concessions pour garantir l’accès de leurs produits aux marchés de pays développés.

Ceci ne touche pas uniquement le Mexique, le Pérou et le Chili (les pays d’Amérique latine qui font partie du traité). S’il fonctionne, il deviendra une plateforme de négociation avec d’autres pays, qui devront en accepter les termes tôt ou tard. C’est pour cela qu’il est fondamental de pouvoir compter sur des réseaux de soutien qui nous permettent d’offrir une meilleure assistance technique aux pays qui n’ont pas d’expert et qui sont en train de négocier ces traités sans en connaître exactement les enjeux.

Claudio : À niveau local, nous montrons aux gens comment ce sujet si complexe les touche directement. À niveau international, nous coopérons avec des organisations de la région pour la plate-forme web (TTPabierto.net) que nous avons créée et qui regroupe le contenu important sur le partenariat disponible en espagnol.

Alberto : Il y a beaucoup de fronts, beaucoup de forums où des sujets importants pour les citoyens sont discutés, et nous n’avons ni les ressources ni les capacités de participer à tous. L’idée est d’alimenter la création de réseaux pour pouvoir transférer les capacités et que d’autres organisations dans d’autres régions puissent faire entendre les voix de la société civile. C’est ce qu’APC nous offre : la possibilité de partager nos expériences et savoirs-faire, et d’apprendre grâce aux visions complémentaires sur la mise en place de droits numériques.



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