Politiques publiques mondiales: comment la société civile peut intervenir efficacement

Le séminaire sur l’ « Intervention de la société civile dans la réforme des politiques publiques mondiales » a été organisé par la Fondation Ford et l’Institut pour un nouveau débat sur la gouvernance à Paris, du 16 au 19 avril 2007. L’objectif était de rassembler des activistes et des académiciens impliqués dans trois campagnes de politiques publiques – les institutions financières internationales, la fiscalité internationale et la gouvernance d’internet, afin de leur permettre de réfléchir sur leurs pratiques et d’échanger leurs savoirs. Willie Currie, directeur du programme des politiques d’information et de communication, en laisse ses impressions sur ce blogue.

Le séminaire sur l’ « Intervention de la société civile dans la réforme des politiques publiques mondiales » a été organisé par la Fondation Ford et l’Institut pour un nouveau débat sur la gouvernance à Paris, du 16 au 19 avril 2007.

L’objectif était de rassembler des activistes et des académiciens impliqués dans trois campagnes de politiques publiques – les institutions financières internationales, la fiscalité internationale et la gouvernance d’internet, afin de leur permettre de réfléchir sur leurs pratiques et d’échanger leurs savoirs.

Il est rapidement apparu que les trois campagnes en étaient à des stades différents de leurs cycles de vie.

Réforme des institutions financières internationales

La campagne de réforme des institutions financières internationales, mûre de ses vingt ans de fonctionnement, a posé des jalons importants en termes de négociations efficaces avec la Banque Mondiale et le Fonds monétaire international, permettant par exemple de :

- obtenir un effacement de la dette pour certains pays en voie de développement
– permettre que les frais de scolarité en tant que condition pour l’éducation soient supprimés
– réussir à ce que les institutions financières adoptent les principes de la convention d’Aarhus ainsi que les politiques de « ne pas faire de mal » concernant les problèmes sociaux et environnementaux
– assurer la création de commissions d’inspection qui contrôlent la mise en place des projets de la Banque
– faire arrêter des projets douteux et aider à la création de la Commission Mondiale des Barrages, ainsi que des politiques permettant aux projets de grands barrages de respecter les communautés locales

Réforme du système fiscal international

La campagne de promotion d’un système fiscal international fonctionne depuis le début des années 1990. Elle est considérée comme étant une campagne « adolescente » du fait de son succès à attirer l’attention sur la fiscalité internationale, vue comme une déficience démocratique au sein de la gouvernance mondiale, ainsi que sur des impôts spécifiques tels la proposition de taxe Tobin sur les transactions internationales des marchés financiers. Celle-ci avait élaboré un modèle d’impôts progressifs sur les aéroports et avait même persuadé Jacques Chirac, le président Français de l’époque, d’en défendre la cause à niveau international.

La campagne a donc vécu une première victoire importante en démontrant qu’il n’était pas impossible de créer une fiscalité internationale qui ne désavantage pas les protagonistes impliqués, les compagnies aériennes, puisque le même impôt s’appliquerait à tous. La campagne a ainsi bouleversé l’un des arguments les plus importants des pays les plus puissants, qu’un système fiscal international ne pouvait être mis en pratique de manière équitable.

Il s’est avéré intéressant de comparer la préparation de la campagne visant à persuader Chirac de s’intéresser au problème de la taxe d’aéroport, suite à l’échec de la création d’une taxe numérique au SMSI. Une étude détaillée fut suivie de l’élaboration d’un modèle de taxe d’aéroport, dont on contrôla les contre-arguments possibles. L’occasion s’est ensuite présentée en France de soumettre ce modèle, avec la réunion annuelle organisée par Chirac avec les ONG. Chirac a résisté pendant quelques années, mais une convergence avec son propre agenda politique s’est tout à coup présentée, et il a décidé de se lancer, avec l’aide des gouvernements du Brésil et du Chili. La taxe de solidarité numérique, quant à elle, n’avait été que très peu, voire pas du tout étudiée avant que Wade, le président du Sénégal, ne lance l’idée au cours du SMSI à Genève, en 2003. Les contre-arguments n’avaient pas été analysés, et la société civile ne put réussir à attirer l’attention sur elle au sein du Groupe de travail sur les mécanismes financiers. Si bien qu’il apparut impossible de la faire percer de cette façon.

Réforme de la gouvernance d’internet

La campagne sur la gouvernance d’internet et la réglementation des TIC en est à l’étape de nouveau né, mais a tout de même réussi à obtenir un impact important auprès des puissants à travers le SMSI ; elle a permis de créer une nouvelle institution mondiale, le Forum sur la gouvernance d’internet, et a su s’organiser de la meilleure façon dans l’espace virtuel. Cependant, il lui reste encore à introduire des politiques concrètes ou des changements dans les réglementations sur la gouvernance d’internet et les TIC.

Les activistes d’internet et des TIC présents ont soulevé la question de savoir comment évaluer la valeur des domaines dont on s’était emparés au cours de la campagne, comme le FGI, le GAID ou l’exécution des lignes d’actions du SMSI. Allaient-ils se révéler n’être que des ateliers de bavardages sans valeur ? Ce commentaire a énormément amusé les militants des institutions financières internationales et de la campagne pour la taxation internationale, et ils nous ont conseillé de ne pas nous en faire. Le message des campagnes aînées a consisté à nous faire réaliser que nous en étions encore à une étape précoce dans le cycle de la vie politique et qu’il fallait suivre son allure, c’est-à dire nous en tenir au processus récemment déclenché, avoir des aspirations réalistes et nous préparer à une percée concrète.

Instaurer une cohésion, avec patience et leadership

Il a été suggéré à APC de penser à organiser une réunion des membres sociaux les plus actifs de la campagne tous les trois ans environ, afin de réfléchir plus profondément au processus de la campagne et à ses objectifs, apporter une certaine cohésion et une compréhension commune des objectifs. Il s’agirait également d’élaborer des stratégies qui reflètent les expériences des activités mises en pratique.

Les autres campagnes ont appris de celle pour internet/TIC qu’il est possible de travailler rapidement sur le terrain grâce à une campagne agile, en utilisant une stratégie d’initié ; elles ont également reconnu le franc succès de la campagne à ouvrir un processus fermé au SMSI et à augmenter la participation de la société civile.

Un autre point traitait de la campagne pour la réforme des institutions financières internationales et de la multiplicité de ses acteurs à niveau local, régional et mondial, qui ont réussi à travailler de pair autour de stratégies et d’objectifs communs, tout en laissant une place à tous les niveaux pour des actions directes, non orchestrées par le centre. Cela a été mis en place au cours d’une réunion stratégique tenue il y a une douzaine d’années, au cours de laquelle les activistes ont bâti des stratégies de façon cohérente et ont permis la mise en place d’un véritable changement.

Les indicateurs, un moyen de dénoncer par les médias

De façon plus anecdotique, Louis Clark, du Projet de comptabilité du gouvernement à Washington DC, spécialiste en dénonciations, a clarifié le rôle qu’ils ont joué dans la révélation de pratiques de corruption de la part du Directeur de la Banque mondiale, Paul Wolfowitiz, envers sa petite amie. Après réception de l’information d’un indic et vérification, ils ont décidé d’envoyer l’histoire à des journaux échotiers plutôt qu’au célèbre New York Times. Ils avaient en effet calculé que Wolfowitiz répondrait à ces potins par un mensonge. Ce qu’il a d’ailleurs fait, signant ainsi sa perte. Il s’agissait là d’une leçon de stratégie de la part d’une campagne adulte et expérimentée, au niveau de la planification et des précautions à prendre, qui comprenait notamment la poursuite d’actions judiciaires afin de protéger l’indicateur de possibles représailles.

Il nous reste encore beaucoup de choses à apprendre. Heureusement !

Willie Currie

Directeur du programme des politiques d’information et de communication

Association pour le progrès des communications (APC)

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