Responsabilité des intermédiaires : Empêcher les discours haineux en ligne au Kenya

Par Mau Éditeur APCNouvelles     LAGOS,

Le changement du régime au Kenya rend le sort des intermédiaires de l’internet incertain. Deux ans après la publication d’un rapport de recherche d’APC sur ce sujet, Grace Githaiga s’est entretenue avec APCNouvelles pour informer des dernières évolutions dans le pays.

APCNouvelles: Quels nouveaux défis le Kenya doit-il actuellement relever en termes de responsabilité des intermédiaires ?

Grace Githaiga: Le Kenya sort tout juste de la première élection générale réalisée l’an dernier selon une nouvelle constitution. On observe actuellement une réduction dans la quantité de discours haineux envoyés par texto, grâce à une nouvelle loi qui oblige tout usager à enregistrer sa carte SIM. Le gouvernement a annoncé qu’il surveillerait les textos, et étiquetterait ceux qui seraient jugés tendancieux. On peut imaginer que les gens ont eu peur d‘être pointés du doigt en tant que responsables de l’envoi ou de l‘échange de messages haineux.

De plus, les organisations ont commencé à prendre leur responsabilité en tant qu’intermédiaires. Lors de notre recherche sur les prestataires intermédiaires, seul le journal Daily Nation avait pris des dispositions sur le type de blogues que ses lecteurs pouvaient réaliser sur ses plateformes en ligne. Mais récemment The Standard a également mis en place ses propres règles. Que je sache cela a été fait de leur propre initiative, par peur de poursuite de la part de personnes victimes de propos diffamatoires postés sur leur plateforme.

Lors du gouvernement antérieur, le ministre, le secrétaire permanent et d’autres membres du personnel du Ministère de l’information ont régulièrement consulté la société civile et d’autres parties prenantes. Cela n’a pas été le cas avec le gouvernement actuel, qui semble plus méfiant à l‘égard de la société civile.

De plus, le gouvernement ne participe pas à certains débats internationaux sur l’internet pour faire connaître sa position. Il serait par exemple utile de savoir s’il compte participer au congrès NETmundial au Brésil en avril prochain. Le gouvernement kenyan est également membre fondateur de la Coalition pour la liberté en ligne (un groupe de gouvernements qui oeuvrent pour la liberté sur l’internet) mais il n’a pour le moment pas prévu de réunions à ce sujet.

APCNouvelles : Quelles sont les questions les plus urgentes au Kenya concernant l’internet ?

Je pense que c’est la question de la surveillance, notamment pour les textos.

Le fait de ne pas encore avoir de loi sur la protection des données est un autre problème. Il arrive que la surveillance soit justifiée, notamment dans ce pays où nous avons eu pas mal de cas de terrorisme et de menaces terroristes. Mais il est préoccupant d’apprendre qu’un surveillant peut commencer à dresser votre profil. Nous avons besoin d’une loi pour que ces surveillances soient justifiées.

Étant donné que la constitution du Kenya reconnaît la participation des parties prenantes à tous les processus d‘élaboration de politiques, nous devons tout faire pour que cela soit maintenu, d’autant plus que les nouveaux responsables du ministère (de l’Information) hésitent pour adopter le pluripartisme. À plusieurs reprises, le Ministère a publié des documents complets de politiques avant de nous demander des apports, nous laissant un temps de réponse très court, et même quand les parties prenantes ont fait l’effort d’y contribuer malgré tout, leurs apports ont été ignorés dans le document final. Pourtant, si leurs contributions n’y sont pas visibles, cette consultation devient complètement superficielle, destinée uniquement à s’acquitter des exigences de la constitution.

APCNouvelles : Depuis votre rapport, l’Association de fournisseurs de services de télécommunications (TESPOK) a-t-elle été reconnue par l’organe régulateur du pays, la Commission des communications du Kenya ?

Cela fait longtemps qu’ils sont reconnus en tant que parties prenantes siégeant au comité qui prend notamment les décisions concernant le nom de domaine .ke. Je ne suis pas sûr que cette reconnaissance soit légale, mais ils sont très efficaces et ont une excellente visibilité sur les plateformes de politiques.

APCNouvelles : Dans votre rapport, vous parliez de certains projets de loi [le projet de loi sur la protection du consommateur et le projet de loi sur la protection des données] qui introduisent de nouvelles formes de responsabilités pour les intermédiaires de l’internet. Où en sont-ils ?

La loi sur le consommateur a en fait été adoptée dès l’an dernier, avant même les élections générales. Celles sur la protection des données et sur la liberté de l’information n’ont pas encore été promulguées. La consultation des parties prenantes a déjà eu lieu, et nous ne savons pas exactement où cela en est actuellement. Nous souhaitons d’ailleurs rencontrer le gouvernement pour obtenir une mise à jour.

APCNouvelles : Y a-t-il actuellement au Kenya des dispositions d’exonération (c’est-à- dire une loi ou une réglementation qui protège les intermédiaires de l’internet d‘éventuelles responsabilités) pour les intermédiaires de l’internet ?

Pas que je sache. Mais il n’y a eu aucun cas d’intermédiaires poursuivis par le gouvernement pour contenu inaproprié.

APCNouvelles : Peut-on penser que les intermédiaires de l’internet pourraient actuellement subir une certaine pression de la part du gouvernement pour donner la priorité à certains types de contenus ?

Non, il n’y en a pas. Uniquement pendant la période électorale, les fournisseurs de service mobile se sont unis au gouvernement pour créer un pare-feu qui marquait tous les textos pouvant transmettre un discours haineux. Mais par la suite nous n’avons plus reçu de plaintes de ce type d’agissement.

APCNouvelles : En quoi les réglementations actuelles touchent-elles les citoyens kenyans ?

Certains ont pensé qu’on retournait au régime antérieur, avec des décisions prises unilatéralement, sans discussions avec les différentes parties prenantes. Nous ressentons un certain mépris de la part du gouvernement, notamment à l‘égard de la société civile, dont les questions soulevées auprès du Ministère nécessitent des réponses mais qui sont pour le moment restées lettre morte.

Nous voudrions que le secrétaire d‘État considère l’internet comme un outil permettant de favoriser les droits à l’information, et qu’il facilite la création d’un cadre de protection des droits à l’information.

APCNouvelles : Dans quelle mesure cela affecte-t-il leur utilisation de l’internet ?

En fait, tout le monde continue à communiquer librement et sans craintes sur l’internet. On peut tout dire ! Seule la communication par texto a été modifiée ; les gens savent qu’ils peuvent être contrôlés alors ils font attention à ce qu’ils envoient par téléphone.

APCNouvelles : En quoi cette question peut-elle les intéresser ?

La gouvernance de l’internet n’est pas comme les autres types de gouvernance : tout le monde est concerné par l’internet, alors le pluripartisme est essentiel. Je crois que c’est le seul endroit où les utilisateurs et les producteurs travaillent sur les mêmes plateformes en tant que parties prenantes importantes. C’est pour cela que pour réguler l’internet, le gouvernement doit prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes, y compris les utilisateurs finaux.

APCNouvelles :Pour quelles raisons les intermédiaires de l’internet ont-ils des réponses si inadaptées pour lutter contre les différentes formes de violence envers les femmes perpétuées à travers la technologie ?

Les questions liées aux femmes, mêmes les plus courantes, n’obtiennent pas vraiment l’attention nécessaire, si bien que les intermédiaires ne disposent de rien de spécifique pour protéger les femmes de la violence en ligne. Nous n’avons aucune loi spécifique qui permette de poursuivre ceux qui commettent ce type de violence. Certains ont été poursuivis pour avoir envoyé des discours haineux et des textos insultants, mais les charges retenues contre eux concernaient la mauvaise utilisation d’un outil de communication, sans vraiment prendre en compte le contenu.



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