Transition au numérique au Sénégal – n'oublions pas les coûts sociaux

Par LC Éditeur APCNouvelles     CALGARY,

Selon Mme Fall, la migration numérique offre plusieurs avantages. Cependant, il faut comprendre que ces bénéfices ne seront pas répartis uniformément sans l’intervention des gouvernements et la participation de la société civile dans le processus.

La transition au numérique – les fardeaux économiques

La transition vers le numérique présente un fardeau économique pour tous les acteurs – d’abord les gouvernements qui doivent établir de nouvelles réglementations; l’industrie, qui doit tout changer son équipement, ainsi que les consommateurs qui doivent se procurer des nouveaux décodeurs numériques ou de nouvelles télévisions numériques. « Il est important de souligner que les technologies de radiodiffusion numérique doivent être acquises sur le marché mondial. La faiblesse des moyens dans la plupart des pays africains est un obstacle majeur à l’acquisition, à la fois pour le consommateur et l’industrie », explique Fall.

Le salaire moyen au Sénégal est d’environ 40 000 FCFA par mois (100 USD), et l‘équipement permettant de recevoir le signal numérique coûte environ 26 000 FCFA (50 USD). Il sera donc difficile pour la grande majorité des Sénégalais de se payer le décodeur. Fall suggère une subvention du gouvernement « il faudrait prendre comme hypothèse que ce type d’équipement peut être amorti en trois ans et il serait raisonnable de le fixer entre 1/3 du prix moyen de cet équipement (entre 30 et 100 USD). Le gouvernement pourrait ainsi octroyer des subventions en fonction des revenus des populations les plus défavorisées », dit-elle. En fait, le gouvernement a déjà annoncé la mise en place d’un fonds d’accompagnement du numérique.

Mais c’est que la transition apporte beaucoup plus que le coût des décodeurs et des nouveaux équipements de diffusions – en fait, c’est aussi une question d’accès. « En 2008, plus de 80 % des ménages ruraux sénégalais n’avaient pas accès à l’électricité. Dans ce contexte, on voit bien l’impact que cela peut avoir sur la disponibilité ou l’accessibilité de la télévision dans la majorité des foyers sénégalais qui sont pour la plupart en zone rurale ». Ceci qui pose un problème pour les diffuseurs publics tant que privés, qui veulent rejoindre un maximum de spectateurs au Sénégal (et de profits), voir même dans les pays avoisinants.

Le dividende numérique – s’assurer que tout le monde en tire les bénéfices

« Toutefois, les enjeux de la transition vers le numérique sont à la fois culturels et sociaux », explique Fall. Il faut prendre en compte le danger de la privatisation et de l’espace audiovisuel des télécommunications au plan national, car celui-ci relève de la souveraineté nationale. Les dividendes numériques engrangés par le passage au numérique sont un bien commun, une ressource importante pour laquelle il faudra être vigilant sur la destination et l’utilisation », prévient-elle.

Les programmes nationaux occupent près de 55 % de la grille selon une étude récente. Les émissions en langues nationales, dont surtout le wolof parlé par près de 90 % des Sénégalais, présente 5.4 % de la grille. Fall urge les Africains à assumer une plus grande responsabilité au niveau du contenu, qui a été jusqu’alors peu diversifié.

« Nous devons de plus en plus favoriser la production locale avec l’encouragement de chaînes régionales; veiller à l’intégrité des œuvres et respecter la propriété intellectuelle ; encourager les sociétés de production vers un marché pluriel; fixer ou imposer des quotas pour la production locale et tenir compte des diversités ethniques et régionales; travailler pour des mécanismes de financement de la création audiovisuelle et d’incitation à l’innovation en matière de production audiovisuelle et surtout revoir le cadre juridique afin de prendre en compte le piratage. »

Bien gérer la migration

Le Sénégal a mis en place un comité national sous l’autorité du Ministère de la Communication et des Télécommunications afin de coordonner et gérer la transition vers le numérique. Le comité, qui est composé des parties prenantes principales, comprend des acteurs du gouvernement, des radio diffuseurs privés, des régulateurs – pourtant, la société civile TIC n’est pas intégrée dans le processus alors que les besoins et l’intérêt des populations doivent aussi être pris en considération si l’on veut que la transition soit bien réussie.

Mais la migration vers la diffusion numérique comporte aussi une étape de convergence entre les deux régulateurs en télécommunications, et a permis l’apparence d’une panoplie de nouveaux acteurs dans le secteur., qui eux peuvent combler les besoins des segments distincts de la population.

« Le bouleversement du paysage audiovisuel ainsi que la transition vers le numérique ont, à coup sûr, impacté sur la vie de l’opérateur historique qu’est la chaîne publique de télévision RTS puisqu’il faudra qu’elle rattrape l’écart qui se creuse avec l’arrivée des nouveaux acteurs qui ont l’avantage d’utiliser des standards plus modernes et numériques », explique-t-elle.

Pour avancer la migration…

Fall explique que les enjeux de la migration sont multiples et énormes en termes d’opportunités, car le monde numérique permet de nouvelles opportunités – mais le rôle du service public des radiodiffuseurs et des autres acteurs reste à être défini davantage par les gouvernements.

« Le gouvernement joue un rôle essentiel dans la création d’un environnement propice à la radiodiffusion numérique », résume-t-elle, « qu’il s’agisse de renforcement ou de la neutralité du régulateur indépendant ». Les normes sur l’interopérabilité, les régimes de licences, de gestion du spectre et les subventions publiques doivent être établies et respectées. Au Sénégal, il est s’agit surtout de subventions pour aider les Sénégalais à s‘équiper des boîtes décodeuses pour le marché local et international.

Des normes au niveau du contenu doivent aussi être établies – la transition doit permettre une certaine harmonisation des paysages audiovisuels de l’Afrique de l’Ouest puisqu’il n’y a eu jusqu‘à présent aucune directive dans la conduite du processus provenant des organisations régionales.

« Le basculement vers le numérique est encore un autre défi pour les pays en développement et pour le Sénégal, il ne faudrait surtout pas rater ce rendez-vous. Le processus doit s’ouvrir à toutes les parties prenantes pour une réussite sans faille de cette transition révolutionnaire. La prise en compte des besoins des populations dans ce sens devient un préalable et une condition sine qua non pour la réussite de cette transition », termine-t-elle.

Photo par Swiatoslaw Wojtkowiak. Utilseé avec permission sur la license Creative Commons 2.0

 


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