La fin du FGI? Quelques réflexions sur son intérêt ou son inutilité

Par Jac sm Kee Éditeur GenderIT.org     Sharm El-Sheikh,

Jac sm KeeJac sm KeeAujourd’hui est le début du quatrième forum sur la gouvernance de l’internet (FGI). J’ai dû prendre encore une navette dans un autre centre de conférences très sécurisé- ou tout au moins en donne l’impression – de gros bergers allemands, des costauds en uniforme et armés, des vérifications au miroir des dessous de voiture, passage aux rayons x et ainsi de suite. Anecdote assez drôle, le fils de 7 ans d’un ami n’a pas pu rentrer bien qu’il ait été inscrit. Lorsqu’on a demandé quel était le risque pour la sécurité, on nous a répondu qu’il risquait de courir et de faire beaucoup de bruit. Ironique puisque la protection des enfants était un des principaux sujets à traiter, avec au moins 1 à 2 ateliers par jour sur les moyens de protéger les enfants d’une exploitation éventuelle en ligne. Sans parler du côté hautement problématique de cette question à une époque où les politiques d’intégration de genre demandent davantage de garderies dans des espaces publics pour permettre une plus grande mixité des gens et des enfants. Bel exemple de la forme privilégiée des identités et des à priori qui accompagnent cet important espace de politique publique.

Rappelons rapidement que la deuxième phase du SMSI (Sommet mondial sur la société de l’information) n’avait pas pu en arriver à une solution sur la gouvernance de l’internet. En raison de l’historique de l’internet, les milieux techniques et intellectuels ont joué un rôle considérable dans son évolution et dans la formulation des normes et des règles qui l’ont accompagnées. À mesure que l’nternet a pris de l’importance dans la vie économique, sociale et politique depuis vingt ans, les États, le secteur privé et la société civile ont réclamé un rôle accru dans sa gouvernance. Mais les infrastructures, les organes où se trouvent certaines parties de l’internet, les normes et les règles qui sont informelles, contractuelles et législatives et la nature de l‘échange réseauté sur l’internet étant tellement répartis, il est difficile à savoir qui devrait décider en dernier lieu de la façon dont il doit être régi.

Mais d’importantes questions continuent de surgir et ont besoin d’un espace et d’un processus de discussion et de négociation où toutes les parties en cause et intéressées par l‘évolution de l’internet se réunissent pour exprimer leur opinion. C’est ainsi que le secrétaire général de l’ONU a reçu le mandat au SMSI II d‘établir un forum sur la gouvernance de l’internet, qui soit un forum « multilatéral, multipartite, démocratique et transparent » et qui suscite le débat et offre des recommandations sur les questions de gouvernance de l’internet. Le prochain FGI sera également le dernier lorsque le mandat prendra fin. Je suppose qu’au SMSI, on pensait qu’il suffirait de 5 ans pour régler la question du qui, du quoi et du comment. Mais le FGI est en fait devenu un lieu de débat plutôt ouvert sur les aspects actuels et émergents de questions critiques comme l’accès, la sécurité et le développement.

Ce qui est également un des principaux sujets à l’ordre du jour de cette année. Le FGI devrait-il se poursuivre au-delà de son mandat de 5 ans? Quelle a été son efficacité puisqu’il n’a pas de pouvoir décisionnel. La fin de chaque FGI ne donne pas lieu à des résolutions signées où les États conviennent d’une orientation. Mais cela aurait été en fait plutôt curieux car cela aurait voulu dire que tout le monde aurait été d’accord pour que les gouvernements aient le dernier mot, ce qui ne me semble pas être le cas. Mais dans la même veine, il n’y a pas non plus de déclarations de la part des nombreuses parties prenantes présentes.

Je n’ai pas assisté au premier ni au deuxième FGI, qui s’est déroulé en 2006 et en 2007, mais j’ai contribué de loin aux préparations d’APC. PARF APC a organisé des ateliers visant à incorporer le genre dans les débats sur la gouvernance de l’internet. Nous avons notamment abordé les questions touchant aux droits à la communication, aux tensions entre la liberté d’information, la liberté d’expression et d’opinion, le droit à la protection de la vie privée et le droit pour les femmes d‘être protégées contre la violence. Malgré les récents attentats à Mumbai, j’ai assisté au dernier FGI à Hyderabad.

Cette expérience a été révélatrice. Au minimum, ce fut un cours accéléré sur les nouvelles technologies et les arguments. Les pauses cigarette et les ateliers ont été tout aussi productifs pour réfléchir aux effets de technologies comme l’Inspection approfondie des paquets sur la surveillance des communications de tout un chacun sur l’internet, pour avoir une idée plus précise de la numérisation généralisée de nos vies quotidiennes et du contrôle que nous exerçons à ce sujet, de l’orientation des politiques et des interventions législatives et des acteurs influents dans ce domaine, pas seulement des noms de pays ou de compagnies. Nous vivons déjà certaines réalités de la science fiction et certaines paniques morales sont incorporées dans des lois.

Surtout, je n’ai pas eu à simplement des rapports sur les tendances et sur qui demande quoi, mais j’ai pu m’adresser à des gens qui ont des opinions, des experts et des gens de pouvoir et entamer des discussions – qu’il s’agisse de responsables gouvernementaux, d’experts juridiques, d’universitaires, de représentants de grandes multinationales comme Google ou d’autres acteurs de la société civile. C’est, je pense, un des grands intérêts du FGI et ce qui en fait tout l’importance. Le fait qu’il n’ait pas de pouvoir décisionnel a peut-être permis à chacun de débattre plus ouvertement et de réfléchir aux dimensions d’une question donnée. Et ce genre d’occasion n’a pas de prix. Il existe peu d’espaces où l’on peut participer en tant qu’acteur de la société civile sans avoir à affronter une multitude de formalités et de protocoles ou arpenter les halls pour trouver la personne du gouvernement à influencer après avoir épuisé tous les réseaux, etc. Je n’ai eu qu‘à prendre mon courage à deux mains. Et bien entendu, trouver des fonds puisque les FGI semblent se dérouler dans des endroits éloignés, exotiques et luxueux (Sharm El Sheikh ressemble à des scènes d’un film de Hollywood où les riches partent en vacances lorsqu’ils n’ont plus d’imagination) – une expérience qui mérite une article en soi.

D’une certaine façon, les participants au FGI ont leur propre pouvoir pour décider de l‘évolution de l’internet, par la technologie, les politiques, les lois, les normes ou son utilisation. Chacun a des connaissances, une perspective et des intérêts différents. Pouvoir décisionnel ou non, le FGI a une influence sur le développement et la définition de l’internet et des TIC connexes grâce à l’effet persuasif du discours et des échanges. Le fait qu’il évolue constamment à mesure que les parties prenantes y contribuent en augmente encore la valeur et l’importance.

Cela ne veut pas dire pour autant que c’est un modèle parfait exempt des problèmes qui rongent un monde inégalitaire. Par exemple, le refus de laisser entrer un enfant de 7 ans comme je l’ai mentionné plus haut. Et puis il y a eu cet incident cet après-midi où des responsables de la sécurité ont interrompu une réception sur l’OpenNet Initiative pour annoncer le lancement de son nouveau livre « Access Controlled » et exigé le retrait de son affiche qui mentionnait « China’s Great (Fire)wall ». À la suite d’un refus- ce n‘était que l‘énoncé d’une réalité- les responsables de la sécurité ont pris l’affiche et l’ont emportée. Pendant ce temps, l’internet est inondé de commentaires sur cet acte de censure. Un autre moment ironique. Comme Ron Diebert du projet ONI l’a si bien dit : « C’est un forum sur la gouvernance de l’internet et un des ses sujets importants est l’accès à l’information, la liberté d’expression et la protection de la vie privée. Si on ne peut pas en parler à quoi sert le FGI? »

Ces problèmes sont très réels et on doit e prendre acte et en parler dans les délibérations sur la poursuite des FGI. L’intérêt et l’importance de cet espace seront fortement compromis si des sujets complexes et difficiles n’ont pas d’espaces où des parties prenantes et des acteurs de différentes positions, pouvoirs et intérêts peuvent en débattre ouvertement. Ce qui veut dire également que l’on doit revoir les questions d’accès et de participation au FGI non seulement du point de vue qui veut que les parties prenantes s’insèrent dans ces catégories bien précises et que tous les acteurs sont égaux. Il y a encore très peu d’acteurs de la diversité qui appartiennent à ces catégories de parties prenantes participant au forum. Au minimum et c’est ce qui est le plus visible, on constate un fossé entre les genres. Une question que la Coalition dynamique sur le genre du FGI soulève constamment depuis le début, de même que la Coalition sur le genre du SMSI avant elle, pendant le processus de SMSI. Sans parler des problèmes de race, de classes sociales, de handicaps, de sexualité, d‘âge et autres. Les responsables de la gouvernance de l’internet doivent commencer par créer des plateformes et des processus où même les moins privilégiés et les moins puissants disposent d’un même espace légitime pour se faire entendre au sujet du monde réseauté qu’ils souhaitent. Le défi pour nous tous est de trouver les moyens y arriver?



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